Août 2017 : Partie 3

Samedi.

Ram Chandra est revenu depuis la veille au soir.
Aujourd’hui, c’est le congé hebdomadaire pour tous, élèves et professeurs. 
Il voudrait me montrer quelque chose : l’électricité à sa source, de l’autre côté de la rivière Khimti, tout en bas de versant. Nous irons.

Le cortège de mariage croisé hier, en fin d’après-midi, suscite en moi des interrogations. De quels lieux sont les jeunes époux ? De quelles lignées réciproquement ?
J’ai en tête le vieux schéma des alliances, quelles que soient les ethnies, les castes, les religions : les lieux sont aux hommes et les hommes restent dans les lieux ; les femmes nées ici vivent auprès de leur époux une fois mariées; et donnent naissance à d’autres hommes qui succèdent à leur père et d’autres femmes qui changeront leur lieu de vie, comme leur mère.

Je me renseigne. Les époux rencontrés hier sont d’ici l’un et l’autre. Leurs hameaux réciproques sont distincts mais proches, juste séparés par un peu d’altitude, quelque part sur les hauteurs. Il n’y a rien de plus éloigné dans ce mariage que le lieu de la cérémonie, le centre “urbain”, puisqu’il faut pour qu’ils s’y rendent, parcourir 500 m. de crochet de bas en haut.

Rien de changé donc, dans le fond des choses ? J’interroge à propos d’une famille, une seule.
Celle-ci a donné naissance à huit filles, et toutes ont quitté le domicile familial, conformément à leur âge. Deux ont souscrit à l’ancien ordre des alliances, et leur habitation est à portée de marche à pied, sur ce versant ou celui qui s’offre en face.
Les autres ont suivi d’autres itinéraires : des itinéraires imprévus, que la coutume ne comprend pas.
De l’exemple choisi, les 3/4 des situations relèvent de cet incompréhensible.

Mon guide du jour vit à quelques mètres au-dessus de la maison du père. Il y a femme et enfants. Et maison construite sur part d’un héritage en cours. Sur ces points précis, la tradition est respectée.

A l’origine de l’électricité, il y a l’eau.
Elle coule en fond de vallée. Celle-ci, qui borde Rasnalu à l’ouest, est une puissante rivière. Non pas un de ces larges fleuves nés dans le Tibet au-delà de l’Himalaya, mais un impétueux torrent qui dégringole sur une impressionnante hauteur. Son potentiel en énergie n’a pas échappé à l’ingénieur et le voilà à présent capté pour fournir au pays et à l’exportation ses multiples mégawatts.

Ce courant là s’en va. Un autre, beaucoup plus modeste, produit sur les versants et fourni aux villages des alentours.
Au-dessus des villages, il y a les sommets. De là l’eau reçue du ciel en mousson, s’infiltre, ressurgit bientôt, puis se concentre, selon la configuration du terrain, en ruisseaux débordants. Lesquels deviennent, à mesure de la pente parcourue, des torrents parfois très forts.

Depuis toujours, de mémoire d’homme, l’eau des torrents sert à la consommation des hommes et des bêtes que l’on élève.
Elle sert, dans les basses pentes, à l’irrigation des terres, en particulier les rizières, sous les 2000m.
Depuis une dizaine d’années, elle fournit l’électricité qui permet de s’éclairer dans les maisons.

 

En bas, la source de l’énergie par l’eau

Nous descendons.
L’eau ressurgit de toutes parts.
Au plus près des maisons, des fontaines. Elles sont à présent cimentées. Ainsi faites, il n’y a plus le désordre à redouter, comme autrefois, à cause du piétinement.
L’eau vient de l’amont, par un tuyau plastique, depuis la source.

Les fontaines sont toutes construites sur ce même modèle.
Le séisme a épargné la fontaine.
Source

Nous parvenons à la “ceinture” du riz.
Je dis ceinture parce que vues du versant opposé, les rizières forment une bande qui se distingue des autres lieux, et des bois qui bordent la rivière en fond de vallée,  et, au-dessus, l’espace cultivé, un peu boisé et piqueté des habitations mi-dispersées, mi-regroupées en hameaux familiaux.
Sur les versants, la ceinture du riz est bien en bas : le riz a besoin de chaleur pour croître..

 

On ne vit pas au milieu des rizières, ou tout au moins, on évite sa trop grande proximité.
Le village est au-dessus.
Les champs sont parcourus de minuscules canaux, l’eau est partout. En amont de la rizière quelques canaux “maîtres”, qui remontent en pente insensible jusqu’au point de captage des eaux d’un fort torrent.
Il n’y a pas là de chemins véritables, seulement celui de l’eau, ou si l’on préfère éviter d’y mouiller trop le pied, le sommet des murettes qui ferment les plans. 


De quoi se perdre pour qui n’ayant pas sa part de champs, ne connaît évidemment pas les entrelacs subtils des accès.
Par chance, nous rencontrons du monde : le chemin, c’est par ici !

Nous avons devant nous, sur le versant d’en face, toute une installation pour l’électricité, depuis le captage au sommet, sur la rivière Jhā̃kre au plus haut de la rizière Baseri, jusqu’à la turbine, disposée dans un bâtiment, quelques dizaines de mètres au-dessus de la Khimti Khola, toujours sur la Jhā̃kre.

La centrale, me dit-on, fournit aux villages alentours, ceux de Hā̃bā , Thulopātal, Betāli et Rasnalu. Je visiterai le site de  l’Himal Power Limited, l’entreprise qui en assure l’exploitation :  c’est 4160 familles desservies et 640 kilowatts produits, au  plus fort de la réserve !

Les techniciens qui sont à demeure sur le site, nous expliquent. L’eau, par le passage en conduite forcée est précipitée dans la turbine. Quand la machine tourne à plein, comme c’est le cas en cette saison, une part de production, qui n’est pas absorbée ici, est basculée sur le réseau général. En saison sèche, parce que l’eau se fait plus rare, toute l’énergie est consommée dans les villages desservis.
Depuis dix ans, le soir est éclairé dans les maisons.
Grace à la turbine qu’on voit ici, aux bons soins des deux hommes.

Echanges, explications, les techniciens sont nos hôtes. Et partageons le thé.
Photo souvenir.
Nous les laissons.
Traversons, une seconde fois mais au retour, le beau pont qui nous a permis d’atteindre l’autre berge.

Et comme le samedi est jour de congés aussi pour les enfants, nous en croisons sur le chemin, en remontant le versant.
Demain est jour de reprise de semaine dans les écoles. Demain, j’accompagnerai mon professeur jusqu’à ses classes, à Namadi : il commence à 10 heures.

Mais pour le moment, nous marchons droit devant, nous remontons la pente.
Il n’y a pas à se tromper, il suffit de suivre la ligne du courant !

Voyage en moto, retour à pied

Dimanche

Nous partons tôt.
Il y a près d’une vingtaine de kilomètres à parcourir. Un peu de montée vers la fin, et de la descente, surtout.
Cette fois, Ram Chandra va rouler en moto. En ces temps de circulation incertaine, c’est bien pratique, plus souple à mener sur la route abîmée, transformée aux endroits non pavés, il y en a que trop vers Betali, en champ de boue. Ce moyen revient cher, à cause du carburant.
Mais en bus, mon compagnon n’est pas sûr d’arriver à l’heure, et la journée de professeur risquerait d’être gâchée.
Je prendrai place à l’arrière.

Il pleut.

Etre parvenu vers 9h.30, le temps, dans sa chambre en location, de se changer, d’enfiler l’habit de l’enseignant, de foncer vers l’école, voici l’enjeu.

Je rejoins sa demeure, quelques dizaines de mètres plus haut.
Nous partageons, avec son épouse, ses deux enfants, la collation.
La collation n’est autre qu’un repas simple, pour se nourrir et seulement cela. On y trouve tout, selon la saison et les goûts : pommes de terre maïs grillé, pain, nouilles chinoises que l’on achète en magasin. De tout sauf le riz, ou bhat, riz cuit à l’eau accompagné de la sauce aux lentilles, des condiments, des légumes. Le bhāt se prend à l’occasion des deux repas, de 10h. et 19h. Il est plus que le repas pour se nourrir, il rassemble les convives, il relève du sacré !
Collation et repas, le professeur prend les deux repas dans la foulée : la journée est chargée.

Qui feuillette cet album trouvera ci-joint notre parcours.
Il a plu pendant tout le trajet, l’eau fouette fraîchement la peau qui reste à nu, je suis engoncé sous la cape. Je n’ai rien vu !
Je retiens seulement le défilement du pavé sous la roue, le ronronnement du moteur qui n’en finit pas de monter et descendre : ralentir, accélérer; ou c’est moi qui pose le pied à terre puis reprend ma position, parfois, mon guide debout à terre soulève le guidon, la roue empêtrée dans un bourbier.
La route en moto -pour se rendre simplement à son travail- relève dans ces contrées de l’épreuve sportive.

Nous sommes à destination. Je souffle un moment, tandis que déjà le professeur a filé, habillé dignement de l’uniforme comme il se doit, avec casquette, pantalon et chemise. La moto est remisée quelque part, jusqu’au prochain retour, vendredi après-midi.
Je passe à sa classe. Séance photo rapide, trop rapide. Pour le souvenir.
Je rentre à pied, j’évalue mal le temps que le retour me prendra.

Je marche sur la route empruntée à l’aller.
Je profite : la voie est large, en pente faible, taillée pour le véhicule.
Je n’ai pas à redouter la circulation, j’ai la voie pour moi seul, seul ou presque.
Un regret : la pluie qui ne veut pas cesser tout à fait.

Traversée de la Haluwa Khola, rivière qui sépare les localités de Namadi et Haluwa.
Sur son cours, une centrale électrique, une autre. Haluwa, Jhā̃kre, Jiri, trois khola affluents des versants de la rivière Khimti. Les habitants des bords de la Khimti reçoivent de là l’énergie qui permet de s’éclairer.

Puis ce sont les rizières d’Haluwa et Betali, beaucoup de rizières.
Au-dessus, sur le versant, les habitations.
Nous sommes au pays des castes, des Chetri, des Brahmanes, des intouchables.
Une forte enclave de population hindoue, et rizicole, dans un pays sunuwar au passé lointain tribal, chamanique et chasseur.

Une rencontre manquée

Lundi

Que sont devenus les gens ? Ces villageois que j’ai croisés, en 1980, avec qui j’ai échangés une fois, ou plusieurs, ou dont j’ai simplement noté dans mes enquêtes de géographe, le signe de quelque chose : le rang dans la famille, l’âge, l’origine géographique et lignagère des femmes mariées, le métier des hommes quand une fois, ou plusieurs, ils ont migré pour le travail, un bout de parcours de vie ailleurs et autrement qu’ici.
Trente-sept années est plus que le temps d’une génération. La plus âgée nous a quitté, la seconde se retire lentement, la suivante a pris la relève à la conduite de la famille, et d’autres sont apparus, nés après 1980.
Tout un chacun se connaît au village, un homme qui a vécu beaucoup connaît beaucoup. Il me faut écouter les gens présents, interroger, comprendre.

Jetha, le fils aîné, vit à deux pas de la maison du père. A l’occasion de la naissance de son premier enfant, il a fait bâtir sur la part de terre en héritage. Son épouse et ses enfants sont au village, mais lui travaille à l’étranger : les états du Golfe, Hongkong, Singapour, Londres. Il n’est pas prévu qu’il rentre cette année, pour des vacances fin septembre, mais plutôt l’an prochain : un aller/retour est coûteux.
Il n’y a là rien de nouveau. Il en allait ainsi, pour le père, alors employé quelque part en Inde, la terre étrangère la plus proche, que l’on atteignait -sur le terrain népalais- en marchant quelques jours. On ne rentrait pas chaque année. Mais plus tard, dans le courant de la vie, on prévoyait qu’une somme serait amassée, et l’homme, revenu définitivement au village, toucherait le fruit de son épargne. Tel est l’itinéraire et l’objectif de Jetha, le fils aîné. Tout n’a donc pas changé ?
Maela, Saela et Kaela, les autres garçons, vivent aussi d’un emploi extérieur au village : à l’étranger, à Kathmandu, au Népal même, dans un district éloigné. Quant à Kancha, le petit dernier, il poursuit de longues études à la capitale. Il vit chez un parent et se nourrit d’un petit boulot en alternance pour compléter le suivi des cours sur le campus.

Voyons du côté des filles
Jethi, l’aînée est mariée, elle vit à deux pas d’ici, dans le hameau de la famille alliée. Elle passe de temps à autres, chez ses parents, ses enfants à elle sont déjà grands.
Maeli, Saeli, Kaeli, Kanchi, les filles nées après sont elles aussi mariées, elles ont donné naissance à petits enfants qui feraient le bonheur des vieux parents. Mais elles ont un jour suivi l’itinéraire tracé déjà d’un frère ou d’un cousin, suivant la route qui mène à Kathmandu, et leur vie n’a pas été celle que père et mère imaginaient pour leurs filles. Pas du tout !

On ne croise au village qu’une partie de son humanité. Il se remplit de l’autre qui manque au moment de Dasai et Tihar, fin septembre, il se vide brutalement après les fêtes laissant les lieux aux bons soins de la génération des aînés. Car il est de tradition à Dasai, de revenir au village natal et saluer les parents, la famille étroite et large, l’occasion de présenter les petits-enfants aux grands parents pour les filles, reprendre pied pour les garçons.

Mais rien n’est vraiment sûr.

Nous sommes en août. Je ne croise et saisis dans l’album des photographies du village que la part visible des présents.
Je ne peux seulement qu’imaginer ces gens partis en entendant le récit que leurs parents me font. 
Il faudrait, pour exprimer en image la totalité des lieux, revenir à Dasai et Tihar, emprunter le chemin des migrants, la part d’humanité dispersée qui se rassemble une fois.
Un autre album ?

J’ai, dans mes pérégrinations de cet août 2017 délaissé les hauts. Non pas la partie des herbages qui surmontent les hameaux sunuwar, jusqu’à 2000., piquetés ici et là, et de plus en plus, de nouvelles maisons, nouvelles exploitations dispersées dans la grande ‘étendue d’herbe. Mais au-delà. Encore plus haut.
Jhareni est un hameau perché à 2300m. L’habitat s’y trouve regroupé, disposé sur le sommet, qui domine les champs en contrebas. De là, belle vue sur  une tranche de Népal nord-sud, avec l’Himal au Nord, en haut; et derrière la crête longue du Mahabharat, la plaine de l’Inde.
Il y gèle dur en hiver.
Vivent en ces lieux des Tamang, ces peuples qui, comme les Sherpas, sont dits bhote, parce qu’ils vivent à la manière des tibétains, bouddhistes, coutumiers de la culture au froid, du commerce et du transport à dos d’homme.
Ceux-ci, dans leur passé, ont vécu de la fabrication du fer dont le minerai affleure sur les sommets, à 3000m. et pour lesquels, afin d’alimenter les fours en charbon de bois combustible, la proximité de chênes est une aubaine. Telle est l’origine de cette implantation singulière des Tamang de Jhareni.
On les appelait Khanel, les mineurs, avant !
Ces temps révolus appartiennent au vieux passé d’un Népal qui refermé sur lui, est né, a grandi à l’écart : le temps des rois et des ministres d’ancien régime, les raja et les rana.
D’autres ont suivi.
Les familles sont toujours là.
Nous en avons croisé, l’autre après-midi, le cortège de mariage de l’un et l’une des leurs, nous avons croisé Ram Bahadur Tamang qui par le passé, m’avait guidé, qui toujours exerce le métier de prêtre lama.
Nous avons convenu de monter, un de ces jours. Nous sommes à ce jour.

Et nous montons.
Montons dans le brouillard.
Avons monté.
L’homme que nous voulons rencontrer n’est pas là.
J’ai des questions. Elles resteront sans réponse.
Le brouillard est épais.

 

Je reconnais les maisons d’avant, pas trop changées : bâtiments imposants, murés, clos.  Il faut se protéger du froid. La véranda, s’il en est une, est à l’étage.
La dame, qui vit là, m’invite à prendre la photo.

Je porte le regard et le viseur sur une maison en construction.
Elle ne suit pas la vieille architecture.
Des pannes horizontales en bois ceinturent le bâtiment.
Où sont donc les ferrailles et le béton ?

Alors, je reviendrai poser ma question, un autre fois, pas cette année.
Mon séjour porte à sa fin.
Nous quittons Jhareni, la crête sur laquelle les nuages semblent avoir élu domicile.
Plus bas, il y a une route, et à son bord, d’autres maisons, d’autres activités.
Passons devant une gomba, lieu de prière des lamas. Elle est fermée, et le prêtre qui la dessert n’est pas là, lui non plus. Où donc est-il allé ?
Nous croisons des transporteurs de bois d’oeuvre.
Nous suivons la route des transports, jusqu’à son terme.

 

Le travail du bois est réalisé avec des outils électriques : scies circulaires, rabots
Gomba de Birauta, nouvelle construction

A ce terme, une maison en construction.
Les jeunes propriétaires nous montrent, ils en sont fiers.
Bahini, petite soeur, adore se faire photographier, avec ou sans ses parents !
Namaste Bahini !

Récit des événements, témoignage de l’habitant

Les faits sont de Baisākh (avril-mai), du 12 de baisakh, année 2072.
Il était 12 heures.
Je me trouvais, rentrant du dehors, à l’entrée, à la véranda. La terre a tremblé. Et puis c’est tout.
Finalement, j’ai pénétré à l’intérieur. Et nous avons passé la nuit à nos places, comme d’habitude.
Le lendemain, même chose, mêmes lieux, mêmes conditions, à 13 heures cette fois. Et j’ai vu, sur le versant d’en face, la terre et la roche qui s’écroulaient.
Nous n’avons plus voulu rentrer ; nous avons passé la nuit sous un abri à bestiaux.
Deux nuits durant, nous avons dormi ainsi.
Le 15 de baisākh, avons décidé de retourner vivre à l’intérieur. Les tremblements semblaient avoir cessé, les nouvelles d’une catastrophe concernaient les régions plus à l’ouest, et Kathmandu bien sûr.
Mais le 29, tout s’est mis à trembler à nouveau, longuement, longuement. Alors, les pierres des maisons sont tombées, les lourdes lauzes des toits, aussi les pierres qui sont dans le mur, les pans se lézardaient. Il était 14h environ. Une chance pour la plupart, parce qu’à cette heure, les hommes sont dans les champs.
Il n’est pas de maison qui n’ait tremblé, c’est tout le village qui s’effondre ; même le poulailler !
Non, les 6 poules n’ont pas été écrasées par la pierre, c’est le chacal qui, profitant du désordre, a dévoré la totalité de la volaille !

29 de baisakh, jour funeste. On ne compte pas de morts directs dans les proches environs : le village n’est pas comme d’autres, accroché à la falaise et suspendu dans le vider ; des victimes, on en connaît pourtant : des personnes âgées qui font la sieste, auprès de leurs petits enfants en très bas âge, victimes elles-aussi.
Mais tout l’espace a été secoué, et les maisons épargnées se comptent sur le doigt de la main.

Les séismes se sont poursuivis tout un mois encore, tous les jours. On se souvient surtout de trois d’entre eux, très puissants. Nous avons dormi comme les bêtes, sous un abri de bambou et de bois comme on en fabrique pour les buffles et les vaches.
Mon petit-fils est né à ce moment, sous cet abri.
Pour ne rien arranger, la catastrophe est survenue au pire moment, celui d’une intense activité agricole, juste avant les pluies auxquelles on doit se préparer.

Nous n’avons pas réintégré nos maisons. Trop de dangers !

Mon fils, c’est-à-dire le papa du nouveau-né, a construit l’hiver qui a suivi, en pus (décembre-janvier), nouvelle maison. Elle répondait à une urgence. Aujourd’hui, la manière de construire, à l’ancienne -sans la ferraille et le béton- n’est plus de mise.
Le mois suivant, en phagun (janvier-février) j’allais pouvoir bénéficier d’un toit véritable. En tant que vétéran Gurkha et pensionné de l’armée britannique, j’avais droit à l’assistance de l’employeur. Nous avons intégré la nouvelle maison le 24 du mois.

Du côté des autorités publiques, l’attente d’une aide a été longue. En phāgun (janvier-février de l’année d’après), elles ont fait des distributions d’argent : 15 000 roupies (150 euros) par foyer pour se vêtir. Il y eut une autre distribution  plus tard : 10 000 roupies.
La reconstruction a commencé officiellement en kartik (octobre-novembre) il y a à peine un an donc, avec l’annonce d’une dotation de 300 000 roupies (3000 euros) par foyer, à charge pour le bénéficiaire de construire selon la norme, en béton armé d’après les plans de l’architecte autorisé. Seulement, en Kartik, il n’est question que d’un premier versement, 50 000 roupies. Le reste est en attente.

Il est dit que les projets de reconstruction devront être déposés avant l’asar (juin-juillet) de l’an prochain.
L’aide gouvernementale prendra fin à ce moment-là.

 

 

Derniers jours

Mardi

Le parcours du jour sera bref, il sera celui de la route, presque horizontale, qui serpente selon les mouvements du terrain, en coupant le versant.
De part et d’autre, sur le versant, les changements semblent mesurés. On compte des habitations nouvelles certes pour remplacer les anciennes, mais toutes relèvent des familles sunuwar implantées depuis longtemps. Aux vieux bâtiments succèdent les nouveaux, des fils s’installent et font bâtir, d’autres, qui vivent à Kathmandu, ne sont pas revenus restaurer la maison du père aujourd’hui décédé, et la maison n’est plus que tas de pierre, une ruine.
En arrière plan du changement de l’apparence, l’organisation des hommes est la même, à peu près.

Sur l’axe routier, il en va tout autrement. 
Je l’emprunte sur la portion qui va d’un bord à l’autre, depuis l’entrée de Bhuji dada à la sortie de Patle.
Et m’inflige un inventaire :
– Chetri de la lignée des Thapa venu de la vallée voisine à l’est, marié sunuwar, héritier par alliance, commerçant. Vit ici avec famille.
-Chetri de Betali (deux frères), ont construit et fondé famille sur ce bord de route, après qu’ils aient misé sur l’acquisition des parcelles sur le parcours.
-Chetri de Betali, uni par mariage à celui-là de Rasnalu. Terrain bien placé pour le commerce.
-Bujhel (caste dite des esclaves affranchis ou Gharti) ; a fait l’acquisition d’une terre sunuwar à vendre.
-Bhandari : né ici, en partie basse du versant; ayant acquis terre pour installer hôtel et restaurant.
-Bhandari : idem
-Bhandari : encore idem.
-etc.

Dénombrer, puis compter.

Sont présents là d’autres gens que ceux des vieilles familles sunuwar, nés du même ancêtre commun depuis huit à dix générations, gens venus d’ailleurs, issus de castes et lignées étrangères au lieu : Chetri, Tamangs, Sherpas, Damai (de la caste des musiciens tailleurs), Sarki (de la caste des cordonniers).
Sur l’axe routier, juste à son bord, vit une humanité différente de la population qui vit sur le territoire traversé.

L'un de ces hôtels et commerces, en bord de route
Une réunion de femmes et pour les femmes, à l'initiative d'une association
Circulation
A l'approche du rassemblement pour femmes
Garage des camions et engins pour l'entretien de la voirie
Au lendemain des fortes pluies, les torrents débordent, déversant sur la chaussée un matériau bien utile, à condition de le tailler.
Monsieur transporte la pierre, Madame la casse

Quelques jours plus tard, à Kathmandu

Demain, j’aurai quitté le Népal.
J’ai donné rendez-vous à Hari à la station de bus.
Hari vit quelque part dans la tentaculaire agglomération.

Je suis posté à Ratna Park.
J’attends.
Je fais mes derniers clichés.
Il pleut, je me couvre autant que je le peux, comme ceux que je fixe dans le viseur.

Echanges d’adresses email et facebook. Le chemin qui mène au village est emprunté par la jeunesse branchée.
J’avais de vieilles photos à remettre à l’aller de ce voyage, je m’en retourne avec d’autres en date d’août 2017.
Hari est mon dernier contact, il prendra le paquet pour le remettre au village, à Dasai.

Demain, je partirai muni de ce précieux lien qui mène à la source du souvenir.

 

2 réflexions au sujet de “Août 2017 : Partie 3”

  1. Pahuna, je ne sais pas ce qu’il va se passer, après. En fait, ça dépend des circonstances.
    Pour la galère, je compatis. Il faut mettre le nom d’utilisateur pahuna et le mot de passe pahuna2037 correspondant, et ça marche.
    Et tu sais quoi ? pahuna, ça veut dire invité en népali. 2037, c’est l’année 1980 selon l’année Bikram en usage au Népal. Par exemple, au Népal, on est en 2075. Autrement dit les Népalais sont en avance de 57 ans sur nous ! Donc, si tu vas au Népal, tu fais un voyage dans l’espace et dans le futur !

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